[Story] Les aventures de Tim Isoara

Juillet 2006, 11h du matin : quelque part en France

Un, deux, trois, quatre, cinq... Un, deux, trois, quatre... Ca y est, ils sont tous là...

Les paupières encore à moitié closes, pour se protéger des rayons de soleils qui pénètrent dans la chambre par les volets entrouverts, c´est ses doigts que Tim Isoara vient de compter. Jusqu´à ce tragique accident d´Ouvre-huîtres survenu quelques années plus tôt il arrivait à dix, toujours... C´était d´ailleurs son nombre préféré à l´époque. A l´époque oui... Parce qu´aujourd´hui c´est neuf...

Ce n´est pas qu´il sache faire grand chose de ses neuf doigts Tim. Oh, c´est vrai qu´avec ses dix doigts il était un gardien de but prometteur... C´est d´ailleurs de cette époque, alors qu´il évoluait encore dans les équipes de jeunes du Poli Timisoara, que lui vient cette manie de recompter ses doigts à tout bout de champ, ce qu´il n´en a pas fait un matheux au demeurant... Il a commencé par vérifier qu´il n´en manquait aucun après chaque arrêt, puis chaque matin en se levant et de fil en aiguille il n´a plus pu détourner son regard de ces foutus doigts ce qui est, il faut bien l´avouer, handicapant pour un portier... A la porte, c´est justement là que l´a mené ce tic... lequel tic était, les médecins sont formels, un toc...

Toc, toc...

On frappe à la porte. Tim, les cheveux qui tirent, la langue pâteuse et l´estomac en vrac se demande encore comment il a fait pour rejoindre sont lit hier soir.

Un, deux, trois quatre,... Un, deux trois, quatre, cinq... Il se souvient vaguement d´avoir compté ses doigts la veille... Ca y est, ça lui revient... Au sortir d´une soirée arrosée dans l´arrière-salle d´un obscur bar de Louhans, Poli s´était mis en tête de rallier son domicile situé à Cuiseaux, quelques kilomètres de marche ne manqueraient pas de le dégriser ! C´est donc à pieds, zigzagant tel un Cristiano des grands jours, et non sans (là encore à l´image d´un Cristiano Ronaldo de gala) trébucher sur quelques obstacles invisibles, que notre zéro a finalement pu se glisser tout habillé sous sa couette alors que, mais Poli n´était pas en état de s´en rendre compte, son réveil indiquait 6h...

On frappe toujours à la porte...

Un, deux, trois quatre,... Un, deux trois, quatre, cinq... Poli saute prestement hors de son lit, au moins autant que ses 110 kilos bien comptés le lui permettent, et dévale lourdement l´escalier qui le sépare de ladite porte, laissant dans son sillage une odeur digne du plus crado des ours des Carpathes...

Arrivé au bas de l´escalier alors que les coups redoublent sur la porte, signe d´une incontestable impatience, Tim est comme attiré, et c´est là son côté méchante reine de Blanche Neige, par son reflet dans le miroir... Dans la glace ébréchée, il se contemple des pieds à la tête avec en arborant un air satisfait... Ni ses vêtements tâchés, ni un sévère enbompoint et encore moins une calvitie précoce (qiue laisse du reste à peine entrevoir son crâne rasé de près) ne pourront empêcher le sourire naissant qu´on sent poindre sur ses lèvres... Il sourit maintenant de toutes ses dents jaunies par la nicotine, pour autant qu´il ait encore toutes ses dents ce qui n´est visiblement pas le cas...

On distingue quelques grognements excédés de l´autre côté de la porte, le mystérieux visiteur doit perdre patience, mais il en faudrait plus pour tirer de notre héros de sa contemplation narcissique...

Son sourire édenté rappelle à Tim une enfance (« les plus belles années de sa vie » comme il se plaît à le répéter à longueur de temps) passée à hanter les rues de Timisoara avec les gamins de son âge à faire le coup de poing contre les bandes rivales, participant en 1989, à 13 ans aux émeutes anti-communistes...

Tim faisait partie de ces milliers d´enfants orphelins, victimes en quelque sorte de la politique nataliste d´un Ceausescu de sinistre mémoire. Plutôt que sur le parvis d´une église ou devant un orphelinat on l´avait abandonné devant la porte d´entrée d´un stade, celui du Poli Timisoara. Adopté d´office par le concierge du stade, Tim n´a plus quitté ses abords pendant de longues années, passant pas mal de temps sur les terrains, devenant gardien de but à Dan Paltinisanu...

De ces années passées à côtoyer le gratin du football roumain, ne garde plus guère de contacts depuis qu´il a quitté le pays en 1996 avec pour seul bagage ses dix qu'il comptait pour passer le temps, plutôt que de regarder défiler le paysage. Il avait 20 ans et était le seul à croire en son avenir alors qu´on venait de lui annoncer qu´il ne signerait pas de contrat pro avec le Poli, le rendant doublement orphelin...

Un, deux, trois, quatre, cinq... Un, deux, trois, quatre...

Les coups ont cessé et le visiteur s´en était allé depuis un moment lorsque Tim est sorti de ses pensées pour ouvrir la porte, s´étonnant de n´y trouver personne ! C´est en baissant les yeux qu´il découvre un paquet déposé là, sans doute par le facteur...

Sur le paquet il découvre une foule de ratures et autres mentions « n´habite plus à cette adresse »...

Il faut dire qu´en dix années passées en France il n´est jamais resté bien longtemps au même endroit, se déplaçant au gré des essais (presque toujours infructueux) dans des clubs moins huppés les uns que les autres et qu´il serait fastidieux d´énumérer...

On notera tout de même que Claude Le Roy, y voyant « le nouveau Gordon Banks » a failli l´engager au Racing Club de Strasbourg. C´est là que tout bascule pour Tim Isoara... De retour à Arcachon après son essai concluant du côté de la Meinau il est victime de ce qu´il appelle toujours « l´accident », comme si tout le monde devait connaître son histoire avant qu´il ne la raconte... Un ami arrive pour lui annoncer la grande nouvelle alors qu´il est à son travail, affairé à ouvrir des huîtres comme il le fait chaque jour depuis son essai raté au FC Bassin-d´Arcachon, lui posant la main sur l´épaule... Effrayé, Tim perd le contrôle de son Ouvre-huîtres se coupant le pouce et, ce qui est moins grave, un doigt de pied... Impossible dès lors d´espérer mener une carrière dans le foot professionnel ! Le malheureux passera deux longues années dans un hôpital psychiatrique, deux ans c´est le temps qu´il lui aura fallu pour arriver à s´arrêter de compter à neuf au lieu de dix... Le contrat jamais signé, encadré, trône toujours au-dessus du lit de Tim...

Comment est-il arrivé jusqu´à Louhans ? C´est une question à laquelle lui même ne saurait pas répondre, toujours est-il qu´il n´a jamais évolué ai club local de Louhans-Cuiseaux... Depuis son accident, Tim ne pratique d´ailleurs plus d´autre activité sportive que le lever de verre, bouteilles et autres réceptacles à boissons alcoolisées... C´est de là que vient son aspect de colosse bedonnant...

Les différentes adresses inscrites sur le colis forment un véritable album des pérégrinations aux quatres coins de l´hexagone d´un ex-futur grand gardien roumain, TOCqué et accidentellement amputé... Malgré toutes ces surcharges on peut cependant constater que le pli a été expédié d´Ukraine... L´expéditeur étant devenu illisible...

S´emparant d´un couteau à pain disproportionné, Tim ouvre gauchement le colis et s´apprête à en extraire une liasse de documents...